Black, un film de Sanjay Leela Bhansali, avec Rani Mukherji et Amitabh Bachchan.


Black, un autre Bollywood.

Bollywood. Un nom qui, en France, fait désormais automatiquement penser aux films romantiques indiens incluant des séquences musicales chantées et dansées. Or le fait de penser que Bollywood ne produit que ce type de films est, en soi, une grosse erreur. En effet, Bollywood ce n'est pas que ça !...

Pour mieux comprendre, il faut remonter environ 40 ans dans le passé. Dans les années 70, le public indien a commencé par être abreuvé par ce que l'on appelle vulgairement le cinéma Masala. Le film Masala est avant tout un film de divertissement mélangeant amour, humour, drame, action, etc… et se terminant généralement par un happy end. On retrouve également dans le cinéma Masala les thèmes récurrents, tels que celui du destin, de la famille, le tout saupoudré de l'idée utopique d'une Inde multireligieuse mais unie avant tout, et surtout face à l'adversité. Le film Masala se veut également fédérateur, ce qui est très important dans un pays ou cohabitent des religions, des coutumes, des cultures, des langues et des communautés différentes. Sholay, film culte, réalisé par Ramesh Sippy, sorti en 1975, et Lagaan, réalisé par Ashutosh Gowariker, sorti en 2001, en sont les parfaites illustrations. Ces films comportent parfois un message d'aspect social. Sur ce point là, Swades, autre film d'Ashutosh Gowariker, sorti en 2004, n'est donc pas une exception dans l'histoire du cinéma Bollywoodien.

Des années 70 aux années 90, la plupart des films indiens étaient des films Masala, le film d'amour à l'eau de rose appartenant à cette catégorie remporte toujours un vif succès principalement grâce aux productions du plus romantique des réalisateurs de Bollywood, Yash Chopra. De plus, ces romances cinématographiques indiennes ont encore de beaux jours devant elles grâce à la nouvelle vague de jeunes réalisateurs tels que Aditya Chopra (fils de l'illustre Yash) à qui l'on doit le scénario de Veer Zaara, et surtout Karan Johar, réalisateur de La Famille indienne, sorti en 2001 qui, avec son premier et excellent long métrage Kuch Kuch Hota Hai, sorti en 1998, a su insuffler une nouvelle jeunesse à ce type de films tout en préservant l'influence de la filmographie de Yash Chopra, lui même influencé par le précurseur du cinéma Bollywoodien, Raj Kapoor.

Petit à petit , avec l'arrivée, dans la seconde partie des années 80, de réalisateurs novateurs, les films Masalas ont progressivement laissé place, à des films dotés de scénaris mieux écrits proposant des thèmes innovants et dont la ligne directrice scénaristique ne s'éparpille pas dans tous les sens . Ces nouveaux films, comme Nayakan de Mani Ratnam, Ijaazat de Gulzar, sortis tous les deux en 1987, ou bien Parinda de Vidhu Vinod Chopra, sorti en 1989, sont plutôt réalisés (mais pas complètement !) à la manière occidentale et notamment hollywoodienne. Ils ont rendu peu à peu le public indien plus exigeant. Le plus gros succès de 1992 fut d'ailleurs un film tamoul de Mani Ratnam, doublé en hindi : Roja. Ce film était innovant sur plusieurs points : ses principaux sujets traitaient du terrorisme et du problème épineux du Cachemire. Le personnage principal était une femme. La musique et les chansons étaient résolument inspirés de la World Music, une première pour l'époque ! Ce film fut un véritable électrochoc à Bollywood car on se rendit compte qu'on pouvait produire un succès colossal au box office tout en évitant les poncifs traditionnels et récurrents des films musicaux populaires. En 1995, suivit Bombay et, en 1998, Dil Se. Ces deux films toujours réalisés par Mani Ratnam imposèrent avec Roja un nouveau genre de films encensé par le public et la critique.

Image : Affiche du film Black.

D'autres films d'un genre nouveau virent le jour à cette même époque. Rangeela, sorti en 1995, et Satya, sorti en 1998, inaugurèrent un style agressif, sombre, réaliste, qui allait devenir par la suite la marque de fabrique cinématographique d'un seul homme Ram Gopal Varma. Ce dernier ne pouvant supporter les productions bollywoodiennes traditionnelles dans leur ensemble, décida tout simplement de réaliser des films influencés à la fois par le cinéma asiatique (notamment hong kongais et coréens) et le cinéma américain. On lui doit notamment Company en 2002, Fantômes (Bhoot) en 2003, et Sarkar en 2005. Fantômes, un film d'épouvante à l'indienne, fut, contre toute attente, le plus gros carton au box office de l'année 2003 en Inde.

Cette évolution cinématographique ne cesse de s'accentuer avec l'arrivée incessante de jeunes réalisateurs talentueux comme par exemple Farhan Aktar qui nous a offert comme premier film, en 2001, le très réussi Dil Chatha Hai, ou bien Rohan Sippy (fils de Ramesh Sippy), dont le film Bluffmaster, doté d'un scénario astucieux, est un des récents succès de l'année 2006.

Il faut noter que l'évolution du cinéma indien reflète l'évolution économique et sociale, de l'inde dans sa globalité. Les grandes villes du pays se modernisent à une vitesse folle et l'indien moyen voit son pouvoir d'achat s'accroître. Il s'occidentalise dans son mode de vie, en commençant par sortir le soir en boîte, en s'équipant de tous les produits dernier cri, en matière d'informatique, de téléphonie, etc... du coup le cinéma indien s'occidentalise également pour se raccorder au goût du public urbain qui ne cesse d'évoluer. Les films traitent de nouveaux sujets. Saathiya, sorti en 2002, basé sur un scénario de Mani Ratnam illustre parfaitement ce changement. Alors que la plupart des films romantiques indiens se terminent par un mariage, celui-ci commence par un mariage et aborde les difficultés de la vie d'un jeune couple urbain issu de l'Inde d'aujourd'hui. Les chansons sont toujours présentes mais les thèmes du film sont traités de manière réaliste. On est loin de la naïveté des grandes comédies musicales colorées et chatoyantes de Bollywood.

Les plus grands producteurs et réalisateurs sentant le vent tourner décident de réagir à leur tour et de sortir des films susceptibles de séduire le public indien actuel, assez jeune dans l'ensemble. Yash Chopra, entre autres, produit Dhoom sorti en 2004 : le premier film d'action indien à la Fast and Furious. Le film remporte un énorme succès. En 2005, Sanjay Leela Bansali, qui était très attendu après son sublime et très musicale Devdas, sorti en 2003, prit tout le monde à contre pied en réalisant le plus beau film indien de 2005 : Black. Un film de 2 heures, sans chanson mais doté d'une mise en scène originale, d'un scénario sans faille et d'une interprétation magistrale. Ce film remporta en Inde un succès unanime auprès du public accompagné par des critiques dithyrambiques.

Tous les films cités ici mettent en avant la constante évolution du cinéma made in Bollywood. Il ne s'agit donc pas d'un autre Bollywood mais plutôt d'un nouveau Bollywood comprenant à la fois les traditionnels grands films musicaux spectaculaires, les films de genre, et les films d'auteurs plus intimistes. Bollywood représente donc un cinéma hétéroclite, jeune, dynamique, qui ne cesse de se rénover et qui n'a pas fini d'évoluer pour notre plus grand plaisir !...

Image : scène du film Black.
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